Reportages marchés

Reportages marchés

Les chiffres sont sans – bonne – surprise ! En un an (novembre 2023 à novembre 2024), les ventes de boissons alcoolisées ont à peine augmenté (+0,1%) dans 6 pays d’Europe* pour s’établir à 69 Md€, tout en continuant de reculer en volume (‑1,1%), comme l’a confirmé lors de Wine Paris, Ananda Roy, SVP Thought Leadership Europe, CPG Growth Advisor pour l’institut d’études Circana.

Ce n’est pas un simple accident de parcours ! Sur les vingt premières années du XXIe siècle, la consommation de boissons alcoolisées chez les 15 ans et plus, dans les 6 mêmes pays d’Europe, a fortement reculé, passant de 12 litres par personne en 2000 à 9,5 litres en 2020, selon la World Health Organisation. Les causes de cette déconsommation sont connues : des jeunes, moins amateurs de spiritueux et encore moins de vin, des produits pénalisés par l’inflation, qui disparaissent des paniers en GMS comme des commandes au restaurant, et la concurrence accrue d’autres boissons…

Les pistes no-low et eco-friendly

Observateur du marché, Ananda Roy suggère des pistes de relance. Son premier conseil aux producteurs et distributeurs : se mettre dans la peau des jeunes (18-24 ans) et de leurs attentes car ils formeront, dit-il, le cœur du marché en 2035 et 2045. Première injonction : investir résolument dans les produits no-low – peu sucrés et sans alcool – très appréciés des jeunes. « Les bières, vins et spiritueux peu sucrés et sans alcool ne sont pas une tendance, ils sont la réalité », affirme-t-il, chiffres à l’appui. Aux États-Unis, les spiritueux faiblement alcoolisés (- de 5 degrés) représentaient 28,6% du marché des cocktails et seltzers en 2024, contre… 12% quatre ans plus tôt ! Les mocktails ont montré la voie. Mais le virage vers les produits no-low est serré, admet Ananda Roy. Car, « les produits devront rester désirables tout en promettant du moins, voire du zéro ! ». Pour dépasser cette contradiction quasi dialectique, l’analyste de Circana suggère aux marques et producteurs d’ajouter des « bénéfices fonctionnels » à leurs produits (énergisants, protéinés, avec des probiotiques, renforçant les défenses immunitaires…), sur le modèle de certaines marques de sodas plébiscitées par les jeunes.

Autre axe incontournable : le développement durable ; les jeunes y sont très attachés. Selon l’institut d’études, l’argument figure dans le top 3 des motivations d’achat de 21% des acheteurs européens de produits alimentaires. Mais, là encore, la RSE n’est pas le sésame. « Les consommateurs ne sont pas toujours prêts à payer plus cher pour un produit plus durable », constate l’analyste. Nouvelle contradiction !

Snacking et café en exemples

Dernière direction à prendre, celle de l’innovation produit. Mais pas n’importe comment. Marques et producteurs sont invités à s’inspirer d’autres marchés alimentaires. Ananda Roy cite le florissant secteur du snacking (chips, barres, smoothies…) qui repose sur des concepts clés : produits consommables on the go, aux parfums exotiques et souvent épicés (gingembre, piment…), forts en caféine, aux textures surprenantes et aux effets explosifs en bouche… Le marché du café serait lui aussi édifiant. Boisson enkystée depuis des décennies dans son rituel – l’expresso au comptoir – le café connaît un renouveau avec l’arrivée d’enseignes spécialisées capables de proposer à leurs clients, et d’abord aux jeunes, des boissons chaudes ou glacées selon la saison, aromatisées de mille façons et toujours en vente à emporter. Pour se caler sur les modes de consommation des jeunes, l’analyste recommande le développement « du vin en canette pour une consommation individuelle, n’importe où, n’importe quand ». Le rituel de la bouteille ouverte le soir entre amis au dîner aurait du plomb dans l’aile !

Mais une dernière question se pose. Si la redynamisation du marché des vins et spiritueux est au prix de ces multiples changements de recettes et d’identité, seront-ils encore des vins et spiritueux ?

* Allemagne, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas.