- Auteur : Thomas Gueller
La commercialisation de vin par internet
FranceAgriMer et le CNIV ont dévoilé une étude sur le marché du e-commerce de vin qui actualise une précédente étude réalisée en 2019.
L’e-commerce de vin subit un ralentissement net depuis la fin de la crise Covid, qui avait donné lieu à une croissance exceptionnelle de l'activité. Ainsi, après avoir enregistré une hausse fulgurante de près de 60% entre 2019 et 2021, ce marché se trouve désormais confronté à un sérieux coup de frein, marqué par une contraction de 8% en valeur en 2023, à 675 M€, soit 6,7% des ventes de vin, tous circuits de consommation à domicile confondus, après un recul de 2% en 2022 (732 M€), suite au record de 2021 (747 M€). Plus qu'une simple baisse « corrective », ce repli mettrait en lumière des défis structurels d'ampleur qui touchent l'ensemble de la filière, à commencer par la chute de la consommation de vin et l’impact de l’inflation sur la consommation des ménages, avec un panier moyen des acheteurs en ligne qui s'est resserré autour de la tranche des vins entre 31 et 50 €, au détriment des vins plus haut de gamme (au-dessus de 70 €). « Le critère du prix est devenu prédominant dans le choix du site d'achat de vin, devant la qualité de la sélection. » Par ailleurs, si l’e-commerce alimentaire ne cesse de croître, le taux de pénétration de la vente en ligne parmi les acheteurs de vin semble avoir atteint un plateau. Il est retombé à 34% en 2023, soit un niveau similaire à celui de 2016, contre 46% au plus fort de la pandémie (baromètre Sowine). « Ce marché peine donc à recruter de nouveaux adeptes (ou à les fidéliser), signe d'une forme d'arrivée à maturité qui explique pour partie le contrecoup actuel. »
Un marché encore dominé par les spécialistes
La vente de vin sur internet se structure autour de six grands types d'acteurs. En première position se trouvent les e-cavistes spécialisés. Opérant sur le Web exclusivement, ils se divisent en trois sous-catégories qui se distinguent par un modèle économique distinct :
- les e-cavistes traditionnels (20% de parts de marché) sont souvent liés à de grands négociants qui leur assurent des stocks conséquents et une disponibilité rapide ;
- les e-cavistes market place (17% de PDM) servent d'intermédiaires entre vendeurs et acheteurs. Certains se spécialisent dans la mise en relation directe avec les producteurs de vins ;
- les e-cavistes « atypiques » (17% de PDM) se démarquent par des modèles de vente innovants, comme les box par abonnement, les ventes privées ou les ventes aux enchères.
L'offre des e-cavistes spécialisés se focalise en général sur les vins milieu et haut de gamme avec des prix nettement supérieurs à ceux des cavistes physiques, mais aussi des autres circuits du Web marchand. En moyenne, plus de 70% de l'offre de vins est commercialisée à plus de 30 € la bouteille.
Dans ce paysage concurrentiel en évolution rapide, les grandes surfaces alimentaires (GSA) s'affirment comme les principaux concurrents des e-cavistes. Avec 31% du marché, les GSA ont su développer une stratégie multicanale reposant notamment sur leurs sites de drive pour atteindre un large public. Elles se démarquent en outre par une politique tarifaire compétitive, avec une prédominance de références à moins de 10 € la bouteille. Certaines enseignes ont optimisé leur offre par la mise en ligne de sites spécialisés proposant livraison ou retrait drive.
En 3e position, les sites e-commerce généralistes détiennent 13% des PDM, grâce notamment à leur place de marché qui offre une grande variété de produits.
Enfin, les réseaux de cavistes « en dur » n'ont qu'un poids très marginal sur ce marché (2% de PDM). En dépit de leur notoriété forte et de leur image d'experts, ces derniers peinent à transposer leur principale valeur ajoutée – le conseil personnalisé – en ligne. Ainsi, leur stratégie digitale repose en grande partie sur la redirection du trafic Web vers les magasins physiques, ce qui rend d’ailleurs la part de l’e-commerce dans leur CA difficile à déterminer.
Le secteur devrait croître, mais mollement
Si la baisse des ventes de 2022 et 2023 a engendré la disparition de nombreux acteurs non rentables ou ne parvenant pas à se démarquer de la concurrence – près d'une centaine de sites auraient cessé leur activité depuis 2020 –, l’étude reste optimiste pour l’avenir ne serait-ce qu’en raison du recul de l’inflation. Avec un taux de croissance annuel moyen attendu de 5% jusqu'en 2028, le secteur devrait atteindre un CA proche de 900 M€. Cette croissance serait d’abord le fait des GSA et de leurs drives, qui ne détiennent que 3% de PDM des ventes de vin en 2023, contre près de 8% des ventes alimentaires globales. Les e-cavistes de type market place devraient aussi poursuivre leur dynamique de croissance. « Avec leur très large panel de vendeurs, elles se distinguent des autres e-cavistes en offrant des prix attractifs, tout en véhiculant une image de spécialistes. Les avis clients largement mis en avant renforcent également leur crédibilité et attirent davantage d'acheteurs et de vendeurs. » En revanche, les e-cavistes traditionnels voient leur potentiel de croissance limité par le fait que leur clientèle se cantonne aux « amateurs éclairés ». Quant aux sites e-commerce généralistes, ils ont déjà réduit leurs ambitions sur ce marché.
Dans un contexte de marché assez ralenti d'ici 2028, il est probable que de nombreux e-cavistes seront encore amenés à fermer ou, le cas échéant, à être l'objet d'un rachat. Au bout du compte, la consolidation du secteur s'accompagnera d'une concentration accrue de l'activité aux mains des leaders du classement.