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Interviews

Thérèse Fournaise
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La transgression : un outil marketing à manier avec précaution par les marques de luxe pour ne pas déstabiliser un consommateur qui entretient avec ces dernières une relation forte, selon Thérèse Fournaise, docteure en sciences économiques et de gestion à l’université d’Aix-Marseille. Les grandes marques de vin et de champagne n’échappent pas à la règle. Notamment quand il est question de mêler luxe et développement durable.

Transgresser, dépasser une limite ou un interdit : les marques de luxe s’y essayent de plus en plus, bousculant les codes jusqu’ici établis pour capter l’attention d’un consommateur potentiellement en recherche d’expériences hors du commun. Sauf que ledit consommateur attend d’une marque de luxe qu’elle réponde à certaines valeurs : haute qualité, voire excellence, savoir- faire artisanal, authenticité, éthique. « Transgresser, cela signifie pour une marque de luxe ne pas respecter un ou plusieurs de ces codes, souligne Thérèse Fournaise. Or, le consommateur entretient une relation très étroite avec une marque de luxe, avec un engagement émotionnel très important, qui se double d’une attente forte liée au prix qu’il consent à payer pour l’achat d’un article de luxe. Il attend donc de celle-ci le respect de ces codes. » Alors, transgresser, oui, mais jusqu’à un fragile point d’équilibre qui ne détériorera pas la relation entre le consommateur et la marque. Le territoire de communication de la marque peut ainsi se transformer en un espace de jeu transgressif. « Les limites sont subtiles entre la volonté de se différencier et la provocation. Pour ce qui est d’une communication de marque, notamment de champagne, certains sujets sont à éviter. Mettre en scène une jeune femme dénudée ou aller trop loin dans la sexualité, ce que peut se permettre la haute couture, ne passera pas auprès du consommateur de champagne. Une certification bio peut aussi être considérée comme une transgression. En effet, pour le consommateur de luxe, l’introduction d’un élément écoresponsable comme du raisin bio peut générer un sentiment négatif qui va affecter la qualité perçue du produit. Cela vaut notamment, et à nouveau, pour les grandes marques de champagne. Ce qui leur pose d’autant plus de problèmes que le même consommateur est demandeur en la matière car soucieux du respect de l’environnement. Le résultat paradoxal est qu’il est désireux d’acheter moins cher ces champagnes bio, la qualité, à ses yeux, pouvant potentiellement s’en trouver dégradée. » Il est donc compliqué pour les marques de luxe de transgresser en affichant leur engagement en faveur de l’environnement. « Les critiques concernant un éventuel greenwashing ne sont jamais très loin, d’autant plus que luxe et développement durable sont deux notions a priori dissonantes, poursuit Thérèse Fournaise. Le premier est souvent associé au plaisir personnel, au gaspillage, à l’ostentation et au superflu, alors que le second véhicule des valeurs telles que l’altruisme, la consommation responsable et la préservation des ressources. »

De l’usage de matériaux recyclés dans le packaging

Cette dissonance et la transgression qui pourrait en résulter, certaines grandes marques de vins et spiritueux l’expriment, notamment, à travers leur packaging en vantant les mérites de l’usage de matériaux recyclés, censés ainsi mettre en valeur leur écoresponsabilité. « Ce qui peut être considéré par le consommateur comme un acte transgressif, jugé positivement, puisque sensible à la cause environnementale, à condition toutefois que l’identification visuelle du packaging reste celle correspondant aux standards d’un produit de luxe. Le design du produit ne doit donc pas être perçu comme trop basique ou ordinaire. D’où la difficulté pour les entreprises de trouver des matériaux recyclés offrant une résolution graphique comparable à leurs équivalents classiques. » Certains opérateurs ont poussé très loin cette dissonance. C’est le cas de Château Galoupet (LVMH) qui a fait le choix d’embouteiller son vin dans une bouteille poids plume (63 g), en PET issu de déchets plastiques marins, recyclable et, qui plus est, de forme plate. Une première pour un vin vendu 25 €. « Une innovation écoresponsable peut être considérée comme une transgression positive par les consommateurs, renforçant leur relation avec la marque, leur laissant à penser qu’ils font partie d’un mouvement précurseur en étant avant-gardistes dans leur mode de consommation, et qu’ils réalisent une bonne action pour la planète. L’acquisition de ce type de produit leur permet ainsi de se déculpabiliser. Mais une trop grande visibilité de l’attribut recyclé peut aussi conduire à une évaluation négative de la transgression. Les consommateurs considèrent alors que la marque a rompu les codes établis du luxe. Une telle initiative peut potentiellement conduire à la détérioration, voire à la rupture de la relation avec la marque. L’action écoresponsable n’est pas alors perçue comme une innovation, mais comme une provocation », estime Thérèse Fournaise. De fait, cette initiative n’a pas été poursuivie. Le tout va donc être de pouvoir apprécier le degré de transgression de la marque par le consommateur. Pour y parvenir, Thérèse Fournaise propose une échelle de mesure de la perception transgressive des marques de luxe du point de vue du consommateur, afin d’aider les entreprises dans le cadre d’une stratégie basée sur la transgression. Cette échelle repose sur un questionnaire composé de 15 items agrégés en 5 dimensions, définies à partir d’entretien auprès de consommateurs : l’anticonformisme, l’avant-gardisme, la provocation, l’imprévisibilité et le militantisme. À chaque entreprise ensuite de se positionner et de voir jusqu’où elle pourra aller dans la transgression.